Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Post-Scriptum, Gildas Richard
Archives
3 janvier 2005

Serge Reggiani, l'italien

 

Venise n'est pas en Italie

Il y a toujours une chanson qui nous rappelle. Vendredi 23 juillet, je bouclais ma valise au moment où j'ai appris la nouvelle : il s'en est allé. Non, pas absenté pour aller chercher des allumettes… Parti, vraiment. J'ai regardé ma montre. Il était 11h49. C'est comme ça, les mauvaises nouvelles. Elles figent en nous des détails, futiles ou dérisoires, de l'instant précis dans lequel elles nous surprennent. Je me suis alors souvenu d'un soir à Nantes : à chaque fin de chanson, il s'inclinait et sa révérence était comme son récital, du cœur. Me suis aussi souvenu de la force des loups dans la voix, des petits pas jusqu'au piano, du petit garçon, du verre d'eau, de Sarah, de la solitude et de la liberté… Oui, sa liberté ! Parti où ? « Il y a sûrement des pays qui valent le coup », chante Mano Solo. Il y a toujours une chanson à laquelle se raccrocher. Partir. Cet été, je prends la route du nord. Si les chansons sont des balises qui permettent de nous souvenir des chemins traversés, elles peuvent être aussi des signaux que nous sifflons à l'approche de nouveaux rivages. Même sans y être allé, on connaît  tous quelque chose de Syracuse, de Montréal ou du Connemara : un cliché, une chimère ou une vétille que, l'air de rien, on ne cessera de guetter une fois qu'on aura accosté. Sur la route qui me mène à Bruxelles, de Bruges à Gand, elles sont là – l'Ostendaise, Marieke, les marinières, « qui dansent sans rien dire, sans rien dire aux dimanches sonnants. » Le long de l'Escaut, je fais une halte, le temps d'une bière savoureuse des Ours. Je ferme les yeux. « Bruxelles, attends-moi j'arrive. Bientôt, je prends la dérive… » Les artistes sont nos éclaireurs, notre orient. Leurs notes, leurs mots ou leurs couleurs nous touchent là où ça fait vivre. J'ai voulu voir Anvers, je n'ai même pas vu ses faubourgs, faute de temps. J'ai mis le cap sur Amsterdam. Là-bas, le poète disait qu'il y a Dieu, qu'il y a les dames. Comme lui, j'ai vu les dames, j'ai pas vu Dieu !  Et j'ai surtout aimé les voir à bicyclette… Avec ses rimes coquines, Vincent Baguian a sacrément raison : « les vélos d'Amsterdam font des beaux culs aux dames, à celles qui s'déchaînent et pédalent, pour les fleurs et les petits oiseaux. » Les canaux, les tournesols, la laitière, les péniches bien sûr… et puis Anne. « Tu pensais qu'on n'oublierait jamais, mais mauvaise mémoire, elle ressort de sa tanière la nazi-nostalgie, croix gammée, botte à clous, toute la panoplie. » Anne, ma sœur Anne, je l'ai lu encore ce matin à la une de Libé. L'été, l'espace d'une lunaison, on prend congé du monde, on s'éloigne des rages et de la haine. Pas longtemps. « Je te le re redis, je n'irai pas plus loin, je te préviens, le voyage est fini… » C'est déjà la fin. Sur la route du retour, les chansons m'invitent à revenir. Il y a encore tant à voir. Tous ces lieux, « ni gris ni verts, ni gris ni verts, comme à Ostende et comm' partout quand sur la ville tombe la pluie… »  Qu'on se le dise, cet été, le soleil était en vacances sur le plat pays. Un dernier souvenir. Au camping Isabel, un homme du pays nous a dit en riant qu'il ne faut pas toujours écouter le poète qui déclame qu'il faut voir Venise et puis mourir. Selon notre hôte, il faut voir Bruges et puis mourir ! Peut-être ne savait-il pas que Venise n'est pas en Italie. Ça, c'est un autre grand poète qui nous l'a appris.

   (août 2004)
Publicité
Commentaires
Post-Scriptum, Gildas Richard
Publicité
Publicité